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Musiques contemporaines XX & XXI

Chroniques de concerts,de festivals, d'événements, de livres, de disques et de DVD.

Le compositeur Gunther Schuller is dead

Le compositeur Gunther Schuller is dead

Gunther Schuller, compositeur, chef d'orchestre, musicologue et professeur, né à New York le 22 novembre 1925, est mort à Boston, le 21 juin, des suites d'une leucémie, à l'âge de 89 ans. Il est un de ceux, avec le pianiste et compositeur John Lewis, à s'être engagé dans le " Third Stream " (le " troisième courant ", mariant le classique et le jazz), avant d'y consacrer un département au New England Conservatory, qu'il a longtemps dirigé.

Comme ne manqueraient pas de le dire les historiens centristes, le " Third Stream ", en un sens, traverse toute l'histoire du " jazz ". Du ragtime à Anthony Braxton en passant par le pudding symphonique du trop bien nommé Paul Whiteman, l'histoire de la musique afro-américaine est marquée par ses relations croisées avec l'histoire de la musique classique, des rythmes caribéens, et de mille autres affluents. Elle y ajoute le " blues ", ce qui fait toute la différence. Ce qui fait aussi que le " jazz " ne s'est pas développé dans le continent sud-américain ou au Canada comme aux Etats-Unis. Question de religion, bien sûr, de langue, évidemment, mais question centrale d'histoire politique.

Excellente occasion de faire le point sur un fils de premier violon à l'Orchestre philharmonique de New York qui, avant de quitter l'Allemagne nazie, avait joué sous la direction de Furtwängler. Gunther Schuller reçoit ses premières leçons du premier cor du Metropolitan Opera. Il devient corniste de l'Orchestre symphonique de Cincinnati sous la baguette d'Eugène Goossens (1943-45), puis, pendant dix ans, du Metropolitan Opera.

En 1949, à peine a-t-il fini sa Symphonie pour cuivres et percussions, il intègre le très aventureux Birth of the Cool. En 1959, il compose pour " jazz quartet and orchestra " (comprendre : orchestre symphonique) Sept études sur des thèmes de Paul Klee.

Là commencent ses recherches avec Ornette, Dolphy, Scott LaFaro, soit une curiosité instruite de l'écriture sérielle, de l'atonal, de l'improvisation illimitée, des rythmes afro-cubains, une amitié de tous les instants, un réseau actif, le très visible comité de l'intelligence et de la joie. Communauté transversale – couleur de peau ou origines sociales – d'artistes, de peintres, de poètes et de génies surgis du lumpenproletariat. Extraordinaire moment. La présence de Jackson Pollock sur la pochette du Free Jazz d'Ornette Coleman (1960) en est la trace active.

En 1959, Gunther Schuller présente à Town Hall ses Conversations pour le Modern Jazz Quartet et le Beaux Arts String Quartet. Spectra (1960) distribue sept groupes distincts sur scène (voir Domaines, de Boulez). Il multiplie les concertos dédiés à des instruments peu sollicités (contrebasson, quatre contrebasses, etc.). Il est dénoncé comme intellectuel et pervers. On fera ici observer au sémillant présentateur de la radio nationale qui a osé, le 21 juin, Fête de la musique, " désannoncer " le MJQ (Modern Jazz Quartet de Milt Jackson et John Lewis) en moquant " le cliquetis de ces élégants automates habillés en pingouins ", qu'à l'époque, par égard pour le public, par convention et par goût, tous les artistes jouaient en tenue de soirée.

D'où vient donc l'agressivité très Charleston en mode mineur que déclenchent les costards du MJQ ? D'un racisme subtil, de cet effort incongru, théorisé par Gunther Schuller et mis en onde par John Lewis, du " Third Stream ". Compositeur de Variants, créé en 1961 par le City Center Ballet Schuller (George Balanchine), Schuller est directeur musical des festivals de Monterey et de Washington. Cependant que gronde la Révolution d'Octobre en Jazz (Bill Dixon), autour de quoi gravitent Cecil Taylor, Archie Shepp, Alan Silva, Alan Shorter… Le rhythm'n'blues se radicalise, et – version expéditive – la pop music ramasse la mise.

Curieusement, Gunther Schuller procède alors à une archéologie des formes du jazz, avec le New England Conservatory Ragtime Ensemble. Son ouvrage, Of Reminiscences and Reflections (1994), lui vaut le prix Pulitzer.

Pièces d'une poésie décalée, œuvres abruptes ou sans angle, réflexion aiguë, son projet de " Third Stream " s'inscrit dans " la conviction d'un melting pot qui n'est que de l'Amérique : compositeurs, improvisateurs, interprètes, tous liés vers l'alliance des musiques, sans barrière ethnique ou autre ". Une utopie de plus, plutôt brillante et inspirée, que les derniers avatars de la musique ont visiblement oubliée sur une aire d'autoroute ? Pour longtemps ? Non : jusqu'au retour d'un nouveau Gunther Schuller.

Francis Marmande, cop. Le Monde

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