6 Juillet 2015
Dominique Jameux sera incinéré mercredi 8 juillet à 13 h au cimetière du Père-Lachaise (Paris 20e). Il ne souhaite ni fleurs ni couronnes.
Le Monde.fr | 06.07.2015 à 11h18 | Par Renaud Machart
Dominique Jameux, connu pour ses émissions sur France Musique et pour ses ouvrages consacrés à la musique classique, est mort des suites d’un cancer du pancréas le 2 juillet 2015, à Paris, à l’âge de 76 ans. Il était l’une des voix emblématiques de la chaîne publique, l’un des hérauts d’une émission mythique, « Le Matin des musiciens », et avait reçu en 1994 le prix de la Société civile des auteurs multimedia (Scam) pour l’ensemble de son œuvre radiophonique.
Né le 24 décembre 1939 à Vichy (Allier), Dominique Jameux vit ses années d’enfance à Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme. Encore adolescent, il rencontre le pianiste Aldo Ciccolini qui comptera beaucoup dans sa formation. Il fait des études musicales (piano, harmonie, analyse, histoire de la musique) et universitaires (histoire de l’art, sociologie).
Dominique Jameux est vite attiré par l’avant-garde musicale et s’intéresse en particulier à Pierre Boulez, une figure qui comptera aussi beaucoup dans son parcours musical et intellectuel. Il fonde et dirige la revue trimestrielle « Musique en jeu » (1970-1978) que publient les éditions du Seuil et dont les champs d’exploration sont ainsi libellés : « Sémiologie de la musique/Analyse/Méthodologie, linguistique et ethnomusicologie ». Une revue qui publiera, entre autres articles de haut vol, le fameux essai « Le Grain de la voix » de Roland Barthes (1972) ou encore l’article « Jeux de maux », de Jameux lui-même, la même année.
Il débute à la radio en collaborant d’abord à l’atelier de création radiophonique d’Alain Trutat. A partir de 1973, et ce pendant dix ans, il anime l’émission de France Culture « La Musique prend la parole » avant de rejoindre France Musique. Au cours de ses nombreux programmes, il revenait volontiers sur les sujets qui lui étaient les plus chers : Richard Strauss (il publiait, en 1971, un premier livre consacré au compositeur aux éditions du Seuil, dans la collection Solfèges), l’école de Vienne (il est l’auteur d’un Alban Berg, en 1980, dans la même collection, et d’une Ecole de Vienne, en 2002, aux éditions Fayard), Wagner (dont il a livré des analyses musicales des opéras dans la revue L’Avant-scène opéra), Boulez (il est signataire de la première publication majeure sur le compositeur, en 1984, aux éditions Fayard) mais aussi Chopin, à qui il devait dédier son dernier ouvrage, Chopin ou la fureur de soi (éditions Buchet-Chastel, 2014).
Après son départ de France Musique et trente-six ans de présence au micro, Dominique Jameux avait consacré un livre, Radio (Fayard, 2009), à son métier. Evoquant ses débuts, l’auteur y écrit : « J’y faisais, avec mes moyens d’alors et dans une optique résolument “pédagogique”, ce que je n’ai en fait plus cessé de faire plus ou moins : parler à chaque fois d’une œuvre musicale, puis d’une autre la semaine suivante. Je suis resté fidèle à la dévotion entre “l’œuvre”, trace du passé dans le présent, témoignage réussi, stable et disponible du Génie qui nous dépasse, réservoir inépuisable de beautés et d’intelligence. Je me moque de ceux qui se moqueraient. »
Dans ce texte subrepticement polémique, Jameux ajoutait : « Au moment où l’on s’ingénie à chasser la parole de France Musique, avec au demeurant des succès divers, comme si on avait décidément abandonné l’idée de la rendre avenante et plausible, je suis persuadé qu’elle seule au contraire permet à la chaîne publique d’attirer et retenir un auditoire. Notre société isole. La demande de lien est encore plus forte que celle de flux sonore : la Parole est l’avenir de la Radio. »
Dominique Jameux avait certes vécu péniblement son éviction, à 69 ans, de France Musique, mais ne gardait pas d’amertume à ce sujet. Son amie et collègue Stéphane Goldet nous a déclaré : « Quelque trente-six heures avant sa mort, nous avons passé tous les deux un long moment. Il était très amaigri. Ne restait que le regard, l’intensité intellectuelle et émotionnelle de quelqu’un qui est engagé sur ce qu’on appellera le dernier chemin… Son leitmotiv ce soir-là était son immense gratitude vis-à-vis de la radio qui lui avait permis d’avoir "une bonne vie" (ce sont ses termes), de faire tout ce qu’il voulait, sans aucune contrainte… »
Dominique Jameux aimait l’écriture, mais l’adage renversé qu’il a inscrit en tête de son ouvrage Radio dit bien quelle était sa passion première : « Scripta volent, Verba manent » : « Les écrits s’envolent, la parole reste. »