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Musiques contemporaines XX & XXI

Chroniques de concerts,de festivals, d'événements, de livres, de disques et de DVD.

Rencontre avec les compositeurs Andrea Valle et Mauro Lanza

Entretien avec Andrea Valle et Mauro Lanza, cliquez !

Regnum vegetabile, Diptyque flamant, Regunm animale
Regnum vegetabile, Diptyque flamant, Regunm animale
Regnum vegetabile, Diptyque flamant, Regunm animale

Regnum vegetabile, Diptyque flamant, Regunm animale

J'ai rencontré le jeudi 10 mars, les compositeurs Andrea Valle et Mauro Lanza avant la traditionnelle rencontre de 19 h avec nos deux compères pour évoquer leur nouveau projet. Le vendredi 29 avril sera créé au CRR de Paris (rue de Madrid), le dernier volet du Systema Naturæ, Le Règne des pierres. Je n'ai pas pu m'empêcher de joindre ce diptyque flamant que l'on peut voir dans l'exposition Carambolage au Grand Palais. Le troisième panneau est présent sur le site de Mauro Lanza, il m'avait intrigué car je ne connaissais pas l'auteur tout en sachant avoir déjà vu l’œuvre mais le hasard m'a également souri. Je vous donne la traduction des trois phrases qui accompagne l’œuvre :

« Laisse ce panneau fermé, sinon tu seras fâché contre moi.»

« Ce ne sera pas de ma faute car je t’avais prévenu.»

« Et plus nous voudrons te mettre en garde, plus tu auras envie de sauter par la fenêtre.»

Rencontre avec les compositeurs Andrea Valle et Mauro Lanza

Le Monde du 28 avril 2016

Mauro Lanza, le "Paganini" du sèche-cheveux

Coussin péteur, boîte à meuh, robinets... Le compositeur italien présente son instrumentarium truculent le 29 avril, à Paris

Un soir de février  2004, la soprano Donatienne Michel-Dansac fait une apparition remarquée au moment d'interpréter Barocco, œuvre de Mauro Lanza programmée à l'Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam). Avant de commencer à chanter, elle dispose à portée de main deux figurines en plastique – un Mickey et une girafe –, qui, avec d'autres accessoires pour enfants tels que la célèbre boîte qui mugit, vont façonner l'univers très spécial du compositeur. Des bruitages de jeux vidéo pour Burger Time (2001) aux coussins péteurs pour Ludus de Morte Regis (2013), Mauro Lanza s'est fait une spécialité des sources sonores incongrues.

Cependant, si l' " instrumentarium " du musicien peut parfois laisser croire à une blague de potache, l'œuvre qu'il engendre n'a jamais rien de puéril. Elle affiche, au contraire, une cohérence entre la forme et le matériau qui s'impose comme la seule réalisation possible d'un projet artistique aussi riche qu'inédit, à l'instar du cycle Systema naturae dont le troisième volet, Regnum Lapideum, sera créé le 29  avril, à Paris, par l'ensemble 2e2m sous la direction de Pierre Roullier. Une œuvre cosignée par Mauro Lanza et Andrea Valle. Deux compositeurs pour une même partition, le fait n'est pas courant en musique " savante ", classique ou contemporaine ! " C'est vrai, confirme Mauro Lanza, mais cela s'est si bien passé entre nous que je me demande pourquoi d'autres n'y ont jamais pensé. "

Peut-être parce que les deux créateurs italiens avaient tout pour se compléter idéalement. Sémiologue formé au contact d'Umberto Eco, Andrea Valle (né en  1974) joue de la basse électrique et, bien qu'ayant étudié la composition, il se produit principalement lors de performances à base d'objets sonores où il lui arrive de pratiquer l'improvisation, un art étranger à Mauro Lanza (né en  1975). Adepte de l'écriture, ce dernier est venu à Paris, en  1998, pour suivre le cursus d'informatique musicale de l'Ircam, domaine qu'il a vite maîtrisé au point de devenir l'un des enseignants clés de l'institution boulézienne. C'est donc, naturellement, sous l'égide de l'ordinateur que l'un et l'autre se sont rencontrés. " Sur Facebook ", précise Mauro Lanza, qui a immédiatement aimé les vidéos postées par Andrea Valle, " l'ami d'un ami "…  

Rabelais comme référence

Comme pour l'entretien accordé au Monde par l'intermédiaire de Skype depuis Berlin (où réside Lanza), l'écran d'ordinateur a servi de lien entre les deux globe-trotteurs prompts à s'échanger des données. " Chacun travaille de son côté et l'œuvre s'élabore au gré des allers et retours comme un cadavre exquis ", dit l'auteur de ce Barocco dont l'aspect visuel avait frappé l'auditoire de l'Ircam.

" Il existe, en revanche, une dimension scénique propre aux trois pièces de Systema naturae ", souligne Mauro Lanza avec un luxe de détails savoureux. Dans chaque cas, une disposition à la fois simple et éloquente. Ainsi pour Regnum Vegetabile, le volet central du cycle : " Six instruments sont mis en ligne avec un ensemble d'objets qui sont pointés vers le public et soumis à une soufflerie très bon marché… résultant de l'action d'une trentaine de sèche-cheveux. "

Présenté sans malice et parfois même avec la crainte de verser dans l'anecdote, l'appareillage de la deuxième pièce fait place dans l'exposé à celui de la troisième, Regnum Lapideum, qui encadre les instrumentistes par deux rangées d'objets selon un parti pris stéréophonique et percussif. " On a pensé que l'idée des minéraux se prêtait bien à une musique plutôt percutante… " Comme celle produite par des galets entrechoqués ? Pas vraiment. " On envoie des impulsions de bruits blancs dans les membranes de haut-parleurs qui, en vibrant, font bouger des objets. " Et Mauro Lanza de décrire l'appareillage de tubes en PVC pourvus de têtes de flûte à bec…

Cette conception de l'acte musical vaut également pour les œuvres écrites par Mauro Lanza en marge de la création " à quatre mains ". Le nubi non scoppiano per il peso (2011) en constitue une magistrale illustration. On y trouve un grand réservoir avec des robinets qui, sous le contrôle de l'ordinateur, libèrent des gouttes d'eau appelées à percuter divers objets. " Par exemple, des plaques électriques qui chauffent… alors ça fait psch… ", s'amuse Mauro Lanza, qui ne cherche pas à provoquer le rire par ses œuvres mais pour qui l'humour n'est pas à proscrire de la musique.

" En fait, confie-t-il, je ne sépare pas les registres comme on en a pris l'habitude depuis l'ère victorienne en évitant que l'obscène ne se mêle au Très-Haut, et c'est sans doute la raison pour laquelle je me sens plus d'affinités avec la période Moyen Age/début de la modernité qu'avec l'époque contemporaine. "

Une référence ? " Rabelais ", lâche celui qui ne répugne pourtant pas à intégrer à ses pièces (celles de Systema naturae) des fragments de musique d'aujourd'hui, empruntés au… heavy metal américain (Helmet, The Melvins, Primus). Toutefois, ce sont bien des images du Moyen Age que Mauro Lanza associe majoritairement à ses œuvres sur SoundCloud, la plate-forme d'écoute gratuite où le compositeur a ciblé son " profil ", en reproduisant le visage grimaçant peint par un anonyme flamand du début du XVIe  siècle. Avant de voir le tableau au Grand Palais dans le cadre de l'exposition " Carambolages ", dont le titre pourrait également servir d'emblème au travail de Mauro Lanza et à ses dérapages contrôlés… par ordinateur.

Pierre Gervasoni

© Le Monde
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