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Musiques contemporaines XX & XXI

Chroniques de concerts,de festivals, d'événements, de livres, de disques et de DVD.

Copi(e) conforme, l'ombre d'Artigas, retour sur un livret

Copi(e) conforme, l'ombre d'Artigas, retour sur un livret

Martin Matalon, L’Ombre de Venceslao sur un livret de Jorge Lavelli d’après la pièce de Copi à l’Opéra de Rennes, mercredi 12 octobre 2016

En reprenant un extrait provenant de la note d’intention de la mise en scène du programme de L’Ombre de Venceslao que j'ai complété entre crochets en rouge.

 « C’est au moment du putsch militaire de 1943  le colonel [Juan Perón fait partie des putschistes] que les jeunes  « mariés » [Regilio et China, les deux enfants de Venceslao] arrivent dans la capitale d’argentine : un peu plus tard, les journaux [Crítica est géré par Raul DamonteTaborda, le père de Copi] qu’ils [ ?, les péronistes, le Parti radical, l'Armée] achètent, parlent des élections générales de 1946 [Juan Perón a créé en 1947 son mouvement politique, le Parti Justicialiste. Il quitte le gouvernement des militaires en octobre 1946. Il est candidat à la présidence de la République de 1946, il est élu le 24 février avec  56 % des suffrages contre le vieux Tamborini, qui appartient au même parti que le père de Copi au Parti Radical, RCV]… Après l’échec de la formule d’union démocratique, c’est le triomphe de Juan Perón à la présidentielle [1951] et sa chute en 1955… Coup d’état, terrorisme, instauration de la panique auront raison du jeune couple et leur mort –tout comme celle de Coco Pellegrini, intrépide séducteur, précipitera les plaisirs conquis de la grande ville dans la tragédie. »

La famille de Copi est complètement imbriquée dans l’histoire contemporaine de l’Argentine. Ainsi son père, Raul Damonte Taborda (1909-1982), est un des caciques du parti Radical, il a été  élu plusieurs fois  députés. Raul Damonte Taborda, en épousant Georgina Nicolasa surnommée dans la famille « La China », la fille de Natalio Botana, un magnat de la presse, fondateur du puissant quotidien Crítica, et de la poétesse et dramaturge,  Salvadora Medina Onrubia, il entrait dans une des grandes familles ayant pignon sur rue. Face aux aléas de la vie politique, la famille de Copi dut plusieurs fois traverser l’estuaire du Rio de Plata pour se réfugier à Montevideo, en Uruguay. La première fois, sous la sous la présidence d’Hipolito Yrigoyen  de 1930 à 1932, puis une seconde fois après la nationalisation, en 1951, de Crítica par les péronistes. Le grand-père était de naissance uruguayenne, originaire de Montevideo. L’exil sera également, une composante de la vie de Copi (1936-1987).  L’épisode péroniste ne s’acheva pas avec le coup d’état de 1955. Il y eut un « remake » avec son retour d’exi,l en 1973, de Perón qui meurt l’année suivante, et la succession, en 1974, à la Présidence de la République, de sa dernière compagn,e Isabelle Martinez de Péron, nouvelle incarnation d’Eva Perón qui sera renversée en 1976 par une dictature militaire féroce. L’Ombre de Venceslao, la pièce fut écrite en 1977,  sept ans après sa charge contre Eva Perón !  Copi toujours en exil, décède dix ans plus tard des suites du Sida. 

Il nous faut entrer plus profondément dans l’histoire de l’Argentine en évoquant la présence dans le livret du « vieil  Artigas ». Venceslao se décide  de quitter sa famille pour  «  prendre les chemin de l’exode du vieil Artigas. » Une figure essentielle de la Guerre d’Indépendance  des Provinces-Unies du Río de la Plata. En 1810, celles-ci rassemblaient l’Argentine et l’Uruguay. Si l’Argentine conquit rapidement son indépendance, la Province Orientale (futur Uruguay) fut annexée par le nouvel Empire du Brésil qui venait de se libérer du joug de sa métropole portugaise. Elle voyait d’un mauvais œil l’instauration d’une république à sa frontière.  Le Liberatore de la Province Orientale, José Gervasio Artigas, premier rallié aux Provinces-Unies du Rio de la Plata, fut lâché par la jeune République d’Argentine qui préféra s’entendre avec le Brésil sur le dos de la Province Orientale. Vaincu, puis trahi par un de ses généraux, le libérateur de Montevideo, Artigas  partit en exil en septembre 1820 au Paraguay, avec 150 de ses partisans. Il fallut,  le  sacrifice des « Treinta y Tres Orientale » en 1825 pour que s’engage une nouvelle guerre de d’indépendance  contre le Brésil qui libéra en 1830 l’Uruguay.

Venceslao, avant de se pendre, met les points sur les « i » dans la scène 28 de l’opéra, en confiant son origine au Perroquet «Je suis natif de la ville Trente Trois [en Uruguay], fils d’une métisse indienne qui survécut au massacre de sa mère, dans une attaque de colons, en traversant à la nage le fleuve Uruguay pour se réfugier à Diamante en Argentine et vivre sa vie.  

L’exécration du péronisme et de la dictature militaire sont au centre de cet opéra. L’exil de Venceslao puis son suicide dans un lieu magique, les Chutes d'Iguazú, à deux pas de la frontière Paraguay, rappelle l’exil d’Artigas et la trahison de l’Argentine à son encontre. Au sale temps qui noie l’Argentine, sous des trombes d’eau diluviennes depuis 1943, succède dans l’opéra, les chutes d’Iguazú évoquant un paradis possible, pour Copi ? Une dernière question me revient en mémoire, pourquoi avoir donné le nom de China à la fille de Venceslao, sachant que c’était le diminutif de sa mère, celle-ci eut certes des complaisances pour le péronisme mais quand même… 

Si le sexe est dit sans détour dans la mise en scène de Jorge Lavelli, d’une manière crue, la politique et l’histoire, sauf le push militaire, sont effacées  de la mise en scène. Pourtant, elles sont « historiquement documentées » dans le livret comme on dit aujourd’hui. Les seuls êtres libres dans l’opéra seraient donc le perroquet et le singe, répéter et singer !  

La mise en scène était porté par un rythme vif, pas un moment de répit en dépit d'une panne technique qui donnait une allure brechtienne * à celle-ci par la présence des techniciens sur le plateau. Musicalement, Martin Matalon a brouillé les pistes entre opéra et théâtre, la voix parlée se mêle naturellement à la voix chantée sans discontinuité. L'orchestration est également vive, se renouvelle tout le temps, kaléidoscopique ! Les scènes de tango sont habilement amenées. Le seul bémol de la soirée, c'est que l'on ne saisit les raisons du suicide de Venceslao. Le personnage est bien dessiné mais reste énigmatique du début à la fin de l'opéra. Bien évidemment, Thibaut Desolantes dans le rôle de Venceslao, crève l'écran par sa présence physique et vocale. Le Largui de Mathieu Gardon révèle un magnifique acteur d'une grande sensibilité. China est peut-être le seul rôle vraiment chanté au sens pyrotechnique de l'opéra, Estelle Poscio, est une soprano, légère et labile pour un rôle où la pitié n'est pas son fort.Nous avions, une distribution homogène qui fait corps avec l’œuvre. Il faut admettre que le Perroquet de David Maisse s'est imposé comme un personnage à part entière de l'opéra.

*Une précision, l'allure "brechtienne", de la mise en scène n'est aucunement lié à la panne informatique mais volontaire. L'arrivée de la carriole de Venceslao fait référence à la célèbre carriole de Mère courage de Brecht dans la mise en scène célèbre du Berliner Ensemble dans la mise en scène de Leopold Lindtberg. 


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