26 Novembre 2018
Lundi 19 novembre 2018, 20 h 30, Fondation Louis Vuitton
Salvatore Sciarrino : 6 Capricci pour violon seul - Immagine de Fenicia et Venere che le Grazie la fioriscono pour flûte –Stupori , création mondiale pour baryton, flûte, violon et percussion par Otto Katzameier, baryon, Carolin Widmann, Matteo Cesari, flute, Christian Dierstein, percussions
Franz Schubert, Quintette en Ut, op. 163 par Quatuor Hagen et Gautier Capuçon
La nouvelle secrétaire d’État à la culture, Lucia Borgonzoni issue des rangs de la Ligue devrait s’informer auprès des compositeurs italiens pour mesurer la distance entre ses propos à l’emporte-pièce et la réalité du vécu des artistes italiens car la France reste pour eux une terre d’accueil .
En invitant Salvatore Sciarrino, pour une création mondiale, la Fondation Louis Vuitton fait honneur à une tradition bien française d’inviter les meilleurs talents, c’est cela qu’on appelle également l’excellence française. Bien sûre si Franz Schubert occupait la première place dans l’ordre alphabétique sur la plaquette du programme, c’est Salvatore Sciarrino (1976) qui était sous les feux de la rampe. Quatre œuvres constituaient cette première partie de la soirée. Les 6 Capricci pour violon seul, sont aujourd’hui au répertoire des jeunes violonistes au même titre que les 24 Caprices de Paganini. Si la première semble flirter avec une étude classique bien studieuse, la deuxième dans sa sonorité toute flûtée, nous mène vers un monde évanescent, laiteux, le monde des elfes. L’attaque sforzando du troisième caprice nous plonge dans un univers froissé où le pli l’emporte sur la ligne. Dans le quatrième, l’alternance des forces contraires domine le déroulement de celui-ci. Le cinquième est un peu l’inverse du premier caprice, avec une prédominance du grave en moins systématique, le vortex est plus resserré, voire étranglé. Dans l’ultime caprice, les petits coups sur les cordes donnés par le bois du talon de l’archet, viennent se superposer au froissé sonore, l’interprète est au sommet d’une musique virevoltante. De la magie pure qui s’évapore en un jeu de quintes à vide. La violoniste Carolin Widmann est l’artiste idéale pour cette performance, entre le sérieux de l’étude et l’illusion du caprice.
Après le violon, la flûte de Matteo Cesari. Il est l’auteur d’une thèse universitaire où il oppose Salvatore Sciarrino au compositeur anglais Brian Ferneyhough, l’idée est judicieuse car l’un et l’autre ont une affinité naturelle avec la flûte. Leurs langages « sembleraient aux antipodes : l’un doté d’une ligne épurée de tout excès, l’autre avec une notation surchargée de détails. » Bien vu ! En évoquant une œuvre de Salvatore Sciarrino L’orologio di Bergson, il précise, celle-ci « est structurée sur la périodicité de certains éléments qui, par leur récurrence, créent une sensation de temps circulaire. » La première impression que nous avons en écoutant Immagine de Fenicia (2001) pour flûte est la sonorité bruitée et obsédante du jeu des clefs ponctué de sforzando soufflés. On a l’impression d’entendre le rythme discontinu d’un train à l’ancienne, ou les battements des rames d’une chaloupe phénicienne cabotant de port en port.
L’incandescence de la matière musicale de Sciarrino se retrouve aussi dans la deuxième œuvre au programme de Matteo Cesari, Venere che le Grazie la fioriscono est un hommage, voire une prière à la déesse de l’amour. C’est aussi l’annonce du printemps, si on se fie à la citation complète du peintre et historien d’art Giorgio Vasari, « Venere, che le Grazie fioriscono, dinotando la primavera. » mais c’est surtout une réminiscence du célèbre tableau de Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus. Le souffle se fait musique. Une œuvre d’une puissance figurative, si l’on peut dire, à vous couper le souffle. La présence musicale de Matteo Cesari est saisissante, rien ne vient perturber son engagement dans l’interprétation implacable de l’œuvre. On a l’impression que celle-ci émane de son corps, de son souffle, qu’il est l’âme de l’œuvre.
Cette première partie se concluait avec Stupori pour voix de baryton, flûte, violon et percussion, c’est une commande, création mondiale de la fondation Louis Vuitton. L’œuvre est constituée de cinq petits textes, dont un, plus long, extrait du Protévangile de Jacques, donnant son titre à l’œuvre. Cet extrait évoque Joseph en route vers Bethléem, en quête d’une sage-femme, ce moment énigmatique où toutes choses sont détournées de leur cours, comme suspendues en l’air, de même les boucs dont la bouche touchait l'eau, ne buvant pas. Cette vision pastorale arrêtée anime l’œuvre ! On est au cœur de « l’écologie de l’écoute » évoqué en prélude de l’œuvre par Sciarrino. À ce mouvement succède, l’ultime haïku de Bashô : «En voyage malade/ mes rêves parcourent/les plaines désolées.» La tonalité de l’ensemble des textes est empreinte de mélancolie, dont le texte final, Les silences lisibles du Messapien sont l’ultime du dire. On retrouve à chaque instant de l’énonciation musicale le raffinement du geste instrumental tandis que la voix d’Otto Katzameier, puissante et légère, prend chaque mot comme un ultime silence. La stupeur saisie l’auditeur, est-ce un adieu ?
La seconde partie du concert est plus classique, un des monuments de la musique de chambre, le Quintette en Ut à deux violoncelles op. 163 de Franz Schubert. Composé en 1828, deux mois avant la disparition du compositeur. Si le premier violon du Quatuor Hagen a eu du mal à accrocher la note dans les premières mesures, probablement en raison de l’acoustique un peu sèche de la salle, très vite il a retrouvé le chemin de la justesse. Le dialogue entre les deux violoncelles s’est avéré passionnant, Gauthier Capuçon maître dans l’art du beau son à la française, se confrontant à la technique plus rugueuse de Clemens Hagen. Son empathie musicale allait plus vers l’alto de Veronika Hagen.