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Musiques contemporaines XX & XXI

Chroniques de concerts,de festivals, d'événements, de livres, de disques et de DVD.

Görge le rêveur, un opéra Mitteleuropa à l'Opéra de Dijon

DR Opéra de Dijon
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DR Opéra de Dijon

DR Opéra de Dijon

Görge le rêveur [Der Traumgörge]

Musique Alexander von Zemlinsky et Livret : Leo Feld

Réduction : Jan-Benjamin Homolka

Direction musicale : Marta Gardolińska

Mise en scène : Laurent Delvert

Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, Chœurs de l’Opéra national de Lorraine et de l’Opéra de Dijon, Anass Ismat et Guillaume Fauchère, chefs de chœur

Décors : Philippine Ordinaire ; costumes : Petra Reinhardt ; les lumières : Nathalie Perrier ; chorégraphie : Nathalie Perrier

Flaminia Hohenzollern : Görge, T ; Daniel : Brenna ; Gertraud/Princesse, S : Helena Juntunen ; Grete, S : Susanna Hurrell ; Le Meunier, B : Andrew Greenan ; Le Pasteur, B / Matthes : Igor Gnidii ; Hans, Bar : Allen Boxer ; Züngl, T : Alexander Sprague ; Kaspar, Bar : Wieland Satter ; Marei, S : Aurelie Jarjaye ; L'Aubergiste, T : Kaëlig Boché ; La Femme de l’aubergiste, S : Amandine Ammirati… [et al.]

Görge le rêveur [Der Traumgörge], qu’Alexander von Zemlinsky composa à l’âge de trente-cinq ans est un opéra mal-aimé, il faut attendre l’année 1980 pour que l’opéra soit monté soixante-quatorze ans plus tard à l’Opéra d’État de Nuremberg. L’opéra fut conçu au départ pour l’Opéra de Vienne mais Gustav Mahler en conflit avec l’institution ne parvient pas à le programmer avant son départ.  Zemlinsky décède en 1942 à New-York  d’une pneumonie à l’âge de quatre-vingt ans. Les deux conflits mondiaux l’effacèrent du répertoire des salles lyriques, il fallut un regain d’intérêt pour la culture de la Mitteleuropa avec la redécouverte de l’œuvre de  Stefan Zweig et du proto-sérialisme. L’Opéra de Dijon après l’Opéra de Nancy nous propose une version chambriste pour 31 musiciens dans la tradition de La Société d'exécutions musicales privées, crééepar son beau-frère Arnold Schoenberg. Cette version est réalisée par le compositeur Jan-Benjamin Homolka, on lui doit une très belle version du Nain (Zwerg) du même Zemlinsky présenté à l’Opéra de Lille en 2017.

Résumer l’opéra est malaisé, Göre, le héros de l’opéra aime les contes dans la tradition des frères Grimm ou de Clemens Brentano, voire ceux d’E-T-A Hoffmann.  Zemlinsky et son librettiste Leo Feld évoquent plus particulièrement le roman autobiographique inachevé d’Hoffmann, Le Chat Muur entremêlé de pages arrachées au compositeur Johannès Kreisler. L’autre source de l’œuvre est un roman d’Hermann Sudermann, Les Chemins du chat publié en 1890 que je n’ai pas lu.

Göre est en quête de la femme idéale, l’opéra commence par un premier échec, ses fiançailles avec Grete sont rompues en raison du retour d’Hans son village. Il vient d’être démobilisé après les défaites autrichiennes face aux armées napoléoniennes. Nous comprenons vite qu’il est toujours l’amoureux de cœur de Grete.  L’action balance entre le rêve extatique et le vérisme naturaliste, Grete choisit le réel. Göre se cloître dans un imaginaire de féérie, ainsi sa rencontre avec la Princesse à la scène 6 concluant le premier acte. Celle-ci préfigure l’issue finale de l’opéra.  On retrouve son orchestration immersive et cristalline, les instruments fusionnent en un seul son. Á la question de la Princesse «  Le Monde, le monde. Connais-Tu le monde ? », Göre répond «  Oh ! Je veux aller dans ton monde, dans le vaste monde ! »

L’acte deux est tout autre,  le chœur du village se retrouve au premier plan, la révolte gronde. Le climat orchestral est tout autre, déchiré, chahuté. « La nation ! » est le mot d’ordre des bourgeois, «  L’égalité, la fin des privilèges féodaux ! » celui de Kaspar, ici interprété par le baryton, Wielland Satter, une voix égale et puissante qui passe la rampe, c’est une difficulté de la scène de Dijon, trop vaste pour l’opéra de chambre, il faut des voix puissantes. Görge a encore l’aura du beau parleur, il pourrait être le  porte-parole des paysans, mais il est en ménage avec Marei qui travaille à l’auberge,  et il entame une liaison avec Gertraud, une réincarnation de la Princesse rêvée (Mahler pensait faire tenir le rôle par la même soprano). Il rejette la proposition tribunicienne du village préférant, «  rêver et jouer ! » avec Gertraud, même si l’orchestre se conclut sur « la joie de vivre », un son pianissimo morendo des cordes graves semble dire le contraire.

Le ténor Daniel Brenna dans le rôle de Görge porte sur ses épaules l’opéra, il est présent durant presque toute la représentation, il doit maintenir sa voix dans l’ambitus élevé de sa tessiture, celle-ci demeurant aérienne, dans un climat de rêveur éveillé. C’est une folie musicale mais il y parvient grâce à sa maitrise du chant wagnérien. Le rôle de la Princesse et celui de Gertraud ne demandent pas un tel effort vocal, la soprano Helena Juntanen  illumine de son incandescence la scène finale un peu comme le fit Richard Strauss dans certains de ses opéras, tel le final du Chevalier à la rose ou bien d'Arabella. Le chœur de l’opéra est à son affaire, les scènes de village et d’auberge sont vivantes, bien caractérisées. La direction musicale de Marta Gardolińska résout avec maestria le paradoxe d’une musique toujours en apesanteur semblant voguer vers un ailleurs et les moments plus terre à terre où les polyphonies vocales et instrumentales des villageois ont le dessus. Göre le rêveur est un opéra tendu entre lyrisme wagnérien et vérisme italien, un opéra Mitteleuropa !  

On pourra entendre sur la chaine France Musique le samedi 7 novembre à 20 h  dans l'émission « Samedi à l'Opéra ».

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