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Musiques contemporaines XX & XXI

Chroniques de concerts,de festivals, d'événements, de livres, de disques et de DVD.

Pelléas et Mélisande, une renaissance de l’art lyrique aux confins du mystère

Golaud (Alexandre Duhamel) & Mélisande ( Vannina Santoni), Golaud (Alexandre Duhamel) & Yniold (Hadrien Joubert), Pelléas (Julien Behr) & Mélisande (Vannina Santoni)   pelleas&melisande©Frederic Iovino
Golaud (Alexandre Duhamel) & Mélisande ( Vannina Santoni), Golaud (Alexandre Duhamel) & Yniold (Hadrien Joubert), Pelléas (Julien Behr) & Mélisande (Vannina Santoni)   pelleas&melisande©Frederic Iovino
Golaud (Alexandre Duhamel) & Mélisande ( Vannina Santoni), Golaud (Alexandre Duhamel) & Yniold (Hadrien Joubert), Pelléas (Julien Behr) & Mélisande (Vannina Santoni)   pelleas&melisande©Frederic Iovino

Golaud (Alexandre Duhamel) & Mélisande ( Vannina Santoni), Golaud (Alexandre Duhamel) & Yniold (Hadrien Joubert), Pelléas (Julien Behr) & Mélisande (Vannina Santoni) pelleas&melisande©Frederic Iovino

Pelléas et Mélisande

Représentation du Samedi 20 mars 2022

Opéra en 5 actes de Claude Debussy (1862–1918), livret de Maurice Maeterlinck

Direction musicale François-Xavier Roth

Mise en scène et scénographie Daniel Jeanneteau ; Collaboratrice artistique et lumières Marie-Christine Soma

Pelléas : Julien Behr, Mélisande : Vannina Santoni, Golaud : Alexandre Duhamel, Geneviève : Marie-Ange Todorovitch, Arkel : Jean Teitgen, Yniold : Hadrien Joubert de la Maîtrise de Caen… et al.

Choeur de l’Opéra de Lille ; Orchestre Les Siècles

 

De nos trois mythes opératiques nationaux, Faust, Carmen, et enfin Pelléas et Mélisande, ce dernier opéra reste le plus complexe déchiffré. Le poète-dramaturge, Maurice Maeterlinck, laisse tout en suspens… Est-ce la folie paranoïaque de Golaud dans sa quête de vérité, son « point aveugle » ou la découverte du désir amoureux de Pelléas et Mélidande. Claude Debussy ne tranche pas, il accompagne musicalement la prosodie du drame, on est à la frontière de la musique de scène ou d’un film muet à venir.

C’est un anti-opéra, l’air s’est dissous dans le récitatif. Si Debussy dialogue avec l’héritage wagnérien tout en s’opposant à l’expressionnisme flamboyant de son contemporain, Richard Strauss. C’est l’opéra de la fragilité, si on compare le couple d’Oreste et Electre dans Elektra à celui de Pelléas et Mélisande, dix ans les séparent. Hugo von Hofmannsthal et Maurice Maeterlinck sont les deux figures de proue du symbolisme littéraire européen.

Esthétique du Théâtre Antoine révolutionne l'art de la scéne au seuil du XXe siècle, Pelléas et Mélisande préfigure le théâtre d’un Samuel Beckett des années 1950, un théâtre de l’incommunicabilité, soit sous le mode du silence, de l’aphasie ou encore de la logorrhée, que l’on remarque chez un Harold Pinter dans les années 1970 ou un Thomas Bernhard dans les années 1980. C’est un théâtre suspendu, indécis où le sens de l'histoire, du récit ne vont plus de soi, le temps des horizons obscures.

Choisir comme metteur en scène Daniel Jaenneteau, le directeur du CDN de Gennevilliers, T2G, s’avère un très bon choix, il s’était déjà confronté à la mise en scène lyrique. Chacun sait que l’opéra est un ogre vorace où beaucoup de metteurs en scène laissent des plumes, voire s’y noient.  Pour votre gouverne, j’ai pu voir sa création de la première œuvre lyrique de George Benjamin, Into the Little Hill (2006) d’après un livret du dramaturge anglais, Martin Crimp, opéra produit par le Festival d’Automne, mais aussi un opéra parlé Les Aveugles de Maeterlinck au T2G ; si la première scénographie jouait sur une lumière aveuglante et tranchante, la seconde œuvre était baignée dans un halo de lumière, enveloppé dans une brume de théâtre, la troisième intervention de Daniel Jeanneteau  fut à l’Opéra de Lille, une version chambriste du Nain (Der Zwerg) d’Alexander Zemlinsky, laquelle aura fait date.

Cette nouvelle version de Pelléas et Mélisande avec l’orchestre Les siècles, dirigé avec flamboyance par François-Xavier Roth, faisait contraste avec le dépouillement de la mise en scène de Daniel Jeanneteau, peu d’éléments de décor, si ce n’est la fontaine stylisée à la manière de l’artiste indien Anish Kapoor, en gouffre de lumières, sans toutefois la brillance chromées des sculptures. Contrairement à la façon de Pierre Boulez (version préraphaélique de Peter Stein, Théâtre musical du Chatelet, 1992) ciselant les scènes via les interludes musicaux transformés en petites boites à musiques à la mécanique parfaite, François-Xavier préfère mettre en avant le lyrisme et la continuité musicale du drame, renforçant ainsi sa dimension oppressive, retenant néanmoins l’énergie orchestrale. Les cordes sont confinés dans la fosse de scène alors que les vents se déploient sur le parterre, leur donnant une couleur éclatante des dynamiques moins étouffée qu'habituellement. La couleur orchestrale, plus chaude, moins lumineuse des bassons français donne un ton lunaire au drame. Si le couple Pelléas (Julien Behr, ténor) et Mélisande (Vannina Santoni, soprano), forme un couple découvrant comme deux adolescents leur désir mutuel sans cesse empêché, Golaud, l'autre protagoniste est porté par les dynamiques vocaux puissants du baryton Alexandre Duhamel, pousse aux confins de la folie, la quête de la vérité (de l’aveu) du désir consommé jusqu’à l'ultime souffle de Mélisande. Ainsi l’interrogatoire du petit Yniold (Hadrien Joubert) par Golaud sous la fenêtre de Mélisande de la scène 4 de l’Acte 3, est poussé à son paroxysme de violence, du supportable pour le spectateur. Daniel Jeanneteau ne tranche pas, il suit phrase à phrase les méandres du texte, laisse en suspens, ne force pas le trait, fidèle à Maeterlinck. La distribution vocale conserve pendant toute la représentation sa force de collectif - seul bémol, on eût aimé une voix plus tenue pour Pelléas, cette ambiguïté a néanmoins son charme, point trop n’en faire, peut-être ! Geneviève n’est pas Jocelyne Taillon, de même Jean Teitgen dans Arkel, n’a ni la ligne de chant ni la beauté du timbre de Roger Soyer dans la mise en scène de Jorge Lavelli à l’Opéra de Paris en 1977, qui fit date, mais il a une simplicité attachante. C’est une mise en scène moins hiératique, plus mobile, plus réactive, plus humaine pour tout dire que nous propose Daniel Jeanneteau. Le soir de la première un grand frisson traversa la salle, est-ce une renaissance de l’art lyrique aux confins du mystère ?

En cette période de mise à l'arrêt du spectacle vivant pour cause de pandémie, il est utile de rappeler que l’Opéra de Lille sous la direction artistique depuis 2003 de Caroline Sonrier est en France, un des deux premiers lieux lyriques expérimentaux du point de vue de la création musicale contemporaine, avec son confrère parisien, Patrice Martinet directeur du théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet ! Deux lieux nécessaires et vitaux pour les artistes et les spectateurs exigeants !

La production sera reprise en 2022

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