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2 Octobre 2014
Mardi 30 septembre, 2 & 3 octobre 2014 à l’Opéra de Lille
Toshio Hosokawa (musique) & Sasha Waltz (chorégraphie) , Matsukaze
Interprété par Barbra Hannegan (Matsukaze), Charlotte Hellekant (Murasame), Frode Olsen (Le Moine), Kai-Uwe Fahnert (Le Pêcheur)
Danseurs & Musifabrik sous la direction musicale David Robert Coleman
L’Opéra de Lille ouvre sa nouvelle saison musicale en rendant hommage au compositeur japonais Toshio Hosokawa qui fêtera ses soixante ans, en 2015. Lille s’est associée aux villes Bruges et Coutrai pour explorer les « Territoires d’Hosokawa »
Il est aujourd’hui avec Toru Takemitsu (1930-1996), compositeur du siècle dernier et le chef d’orchestre Seiji Ozawa, la personnalité musicale japonaise la plus connue en Europe. Il réside principalement en Allemagne, le compositeur coréen Isang Yun (1917-1995) a été son professeur de composition. Si Toru Takemitsu fut un continuateur de Claude Debussy, Isang Yun choisi la tradition sérielle pour déployer sa propre musique. Toshio Hosokawa a retenu de lui, une basse harmonique bien charpentée et un sens aigu du contrepoint.L’opéra-danse, Matsukaze a été créé au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles en 2011. C’est donc une reprise de la chorégraphe Sasha Waltz que propose Caroline Sonrier, la directrice de l’Opéra de Lille en ouverture de saison. Sasha Waltz a comme Teresa de Keersmaeker a ouvert le territoire de la danse à la théâtralité puis à l’opéra. Matsukaze est un classique du théâtre Nô dont le livret a été écrit au XIVe siècle par Zeami. Ce Nô appartient au cycle automnale de la neuvième lune. Cette forme théâtrale participe à la diffusion du bouddhisme dans l’archipel Nippon, il met en scène un poème de Yukihira du IXe siècle. Un moine bouddhiste arrive dans un petit village de pêcheur dans la région de Kobe où sur un pin est gravé un poème, Matsukaze (Le vent dans les pins) évoquant une relation amoureuse du poète avec deux sœurs, Matsukaze et Murasame (Pluie d’automne) travaillant dans une saline. Celles-ci se suicidèrent après son départ. L’opéra s’ouvre sur les sons du ressac se mêlant au vent dans les pins. Les danseurs dessinent avec leurs bras une calligraphie imaginaire du poème. La nuit tombe. La basse Frode Olsen, un moine bouddhiste, psalmodie, les raisons de sa venue à Suma. Si, il est le waki du théâtre Nô, il est aussi la figure du Wanderer, du voyageur, cher au premier romantisme allemand par l’usage de la langue allemande chantée. L’ensemble instrumental Musifrabrik se glisse dans les sonorités traditionnelles de l’ancien Japon. La flûte devient Shakuhashi et la harpe, koto. La musique d’Hosokawa est plus du côté du plein que du vide, contrairement à celle d’un John Cage. Le vide signifie pour lui, tension. Les fûrin, petites cloches utilisés dans les temples bouddhistes déploient un voile cristallin apaisé sur une texture musicale dense. Les deux sœurs, au mitan de la nuit, dans un duo séraphique et aérien, aux contrepoints serrés descendent doucement des cintres, suspendues à des filins invisibles, elles semblent flotter dans l’air. Puis, progressivement, elles s’enfouissent dans une monumentale texture filandreuse entre toile d’araignée et végétation aquatique menaçante conçue par la plasticienne Chiharu Shiota. En posant les pieds sur terre, elles deviennent bacchantes possédées, et le poète Yukihira, un nouveau Dionysos auquel elles vouent leur vie. La réussite de l'opéra tient aussi à la très forte présence vocale et dramatique de la soprano, Barbara Hannegan et de la mezzo-soprano, Charlotte Helekantque que nous avions entendu la saison dernière dans le monodrame The Raven d’Hosokawa sur le poème éponyme d’Edgar Allan Poe au Théâtre des Bouffes du nord.
L’Opéra de Lille est radicalement tournée vers le présent. N’est-ce pas la meilleure façon de repousser la langueur qui semble saisir la société française. Lille 3000 a fait sauter une étape
, et nous percevons aujourd’hui les effets.Matuskaze est éditié dans le deuxième volume des Nô et Kyogen, automne-hiver, POL, 1979