30 Octobre 2017
Première partie de l'Entretien avec Edith Canat de Chizy
Cité de la Musique et de la danse de Soissons, samedi 15 octobre 2017
Franz Schubert, Symphonie n°6 en Do majeur D. 589 ; Samuel Barber, Adagio pour cordes ; Edith Canat de Chizy, Le Front de l'aube, sur livret de Maryline Desbiolles (création mondiale)
Chœur Spirito (dir. Nicole Corti), Vincent Bouchot, Baryton et Adrien Perruchon, dir.
Passer de Francfort à Soissons en 24 heures est saisissant, l’une et l’autre citées ont été des villes martyres, la première fut rasée par le bombardement alliés, celui du 22 mars 1943, raya le centre historique de la carte. En septembre dernier, on désamorça encore une bombe de forte puissance restée enfoui sous la ville depuis 1945. Soissons fut une ville au cœur de la Bataille de la Marne, prise en août 1914 par les armées allemande, puis libérée en septembre, elle sera reprise au printemps 18, lors de l’ultime offensive allemande, puis une nouvelle fois libérée en septembre. Elle fut sous le feu de l'artillerie allemande pendant presque toute la Grande Guerre. L’épisode du Chemin des Dames d’avril 1917 à juin 1917 reliant Soissons à Reims par Laon, est resté tristement célèbre. Le général Nivelle, succédant au futur maréchal Joffre, lança sa grande offensive du printemps 17, mobilisant entre autres de nombreuses troupes coloniales, fut en final échec, une véritable saignée humaine dans les deux camps. En dix jours de combats, du 16 au 25 avril, on compta plus de 30 000 tués et 100 000 blessés du côté français dont beaucoup de soldats indigènes. Offensives et contre-offensives se succédèrent à un rythme effréné. Ce fut un tournant dans la guerre, la troupe se mutina, la répression du haut commandement fut féroce. Le vainqueur de Verdun, le maréchal Pétain succéda à Nivelle en mai. Il arrêta les offensives inutiles. Le front se stabilisa jusqu’à l’ultime offensive du printemps 18, des forces allemandes. Cette phrase de Louis Aragon resté célèbre dans Aurélien, « Je me souviendrai toujours... C'était au Chemin des Dames. », de même les premiers vers de la Chanson de Craonne sur le timbre d’une valse d’amour d’avant-guerre, Bonsoir, M'Amour que l’on peut toujours entendre sur France Culture le dimanche matin en ouverture de La libre pensée.
La France contrairement à l’Allemagne, depuis 2014, a entrepris un long « travail de deuil » qui prendra fin avec la célébration de l’armistice de 11 novembre 2018, qui mit fin aux hostilités. L’année 1917 est celle de tous les dangers, le front russe se disloque, la révolution de février et d’octobre mettent fin au tsarisme. L’année 1917, se clôt le 9 décembre avec l’entrée dans Jérusalem des troupes anglaises sous l’autorité du général Allendy libérant les lieux saints de l’emprise ottomane. Cette commémoration associe les villes de Laon et de Soissons. C’est dans la cathédrale de Laon qu' a été créé la cantate d'Édith Canat de Chizy Le Front de l’aube de la compositrice mais, nous l’avons entendu dans le magnifique Conservatoire de musique et de danse de Soissons réalisé en 2010-2014 par l’architecte Bruno Gaudin, et si je puis me permettre, ce chef d’œuvre fait écho à l’ancienne Abbatiale Saint-Jean-des Vignes.
Si l’Auditorium du Conservatoire n’a pas l’ampleur de la nef de la cathédral de Laon, il offre cependant une belle résolution acoustique, comme l’a illustré le concert du dimanche 15 octobre 2017. Le choix du programme est astucieux. La Sixième symphonie de Schubert est rarement interprétée en concert ; sur le manuscrit est indiqué la date d' « octobre 1817 ». De tonalité jupitérienne en Ut majeur, l’œuvre semble hésiter entre l'ampleur beethovénienne et le style primesautier d'un Rossini, sa basse orchestrale contrecarre une petite harmonie virevoltante. Si le pupitre des cordes ne m’a pas paru toujours bien en place, tout au contraire a été l’interprétation de l’Adagio pour cordes de Samuel Barber, a été une belle surprise, les cordes étaient bien à l’unisson avec de très belles couleurs dans les envolées ascensionnelles . Puis à un très court silence a succédé l'audition de la cantate d’Edith Canat de Chizy. L’œuvre est une commande de la Fondation de France. Le Front de l’Aube est également un recueil de poésie de Maryline Desbioles accompagné de photos de Jean-Pierre Gilson (Aux éditions des cendres, 2017). L’œuvre n’est aucunement une célébration de l’héroïsme guerrier. Le premier vers et le vers ultime donnent au recueil son ton, une déploration contenue, « Ce ne sont pas des fleurs / Et si c’étaient des morts. » Les photos en noir et blanc de Pierre Gilson, racontent le paysage, la nature, des excavations, des ruines, l’ombre de l’ogre, deux soldats [de plomb] poussées par Niké… Edith Canat de Chizy exploite un orchestre par Mozart, auquel s’agrègent deux groupes de percussions disposés sur les côtés latéraux de l’orchestre, un accordéon renforce la texture des cordes et un chœur séraphique est placé derrière l’orchestre, évoque la voix des enfants. Il est surtout traité comme un instrument, une couleur. Le timbre, la mélodie de la Chanson de Craonne s’immisce dans le matériau musical à la façon cantus firmus franco-flamant. La musique est constituée de sept courtes sections s’enchaînant. Là aussi point de grandiloquence, le baryton Vincent Bouchon dit et chante le texte ainsi une phrase comme, « Le chemin des dames n’est pas un chemin de crête, mais un chemin d’en bas, de très bas. », donne tout son sens à la musique. Par petites touche, les trompettes nous évoquent l’aspect martial de la guerre mais les cuivres rappellent que la guerre est aussi la mort. Il est à souhaiter que l’œuvre trouve sa place dans le répertoire, peut-être, ne faudrait-il pas la compléter d'un court prélude, qui serait comme un appel au silence et au recueillement.
L’orchestre constitué de musiciens de L’Orchestre Les Siècles et de professeurs aguerris des conservatoires de l’Aisne, et du Chœur Spirito, étaient sous la direction efficace d’André Perruchon. Par son expérience de percussionniste d’orchestre, il était le musicien le plus amène pour parvenir au meilleur dosage possible entre les dynamiques des percussions, et les autres composantes musicales de la cantate d’Édith de Canat de Chizy.
Omer Corlaix
Un entretien avec la compositrice.
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